L’ère de l’excès

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L’ère de l’excès

Communication
Des discours sans filtre permettraient non seulement de s’attirer la sympathie des électeurs, mais seraient aussi bien plus efficaces à l’heure des réseaux sociaux.

Revendications sur le Groenland et le Canada, changement de nom du golfe du Mexique, Donald Trump a multiplié les exigences et les coups de gueule à un rythme effréné dans les jours qui ont suivi son investiture, en janvier dernier.

Dans le cadre de ses relations internationales, le président républicain n’hésite pas à user de son pouvoir. «Le chantage a remplacé la démocratie», résume un éditorial de 24 heures et de la Tribune de Genève, prenant pour exemple les menaces de taxation de la Colombie et du Venezuela, si ceux-ci ne consentent pas à accueillir leurs ressortissants expulsés.

«Ce qui est inquiétant, c’est que Trump a probablement capté l’humeur du temps et répond à une exaspération populaire, justifiée ou non, s’estimant victime de la mondialisation et des mouvements de population qu’elle encourage», poursuit l’éditorialiste. «Si la démocratie et ses diplomates, l’ONU et ses agences ne se donnent pas les moyens d’être efficaces, la brutalité en politique pourrait se propager encore.»

Thérapie de choc

Est-ce à comprendre que l’on assiste à une nouvelle forme de communication politique? Pas tant que ça, pour Philosophie Magazine, qui cite La Stratégie du choc (Actes Sud, 2007) dans un éditorial de février: «Intervenir immédiatement pour imposer des changements rapides et irréversibles à la société éprouvée par le désastre» est une méthode qui trouve déjà sa place aux Etats-Unis, que ce soit dans les milieux militaires ou économiques, selon l’autrice de cet essai, Naomi Klein. 

«Les partisans de la stratégie du choc croient fermement que seule une fracture radicale – une inondation, une guerre, un attentat terroriste – peut produire le genre de vastes pages blanches dont ils rêvent.» Une démarche proche de ce que préconisait Machiavel au XVIe siècle. 

De l’intimidation

L’usage du rapport de force dans le milieu économique existe. Nicolas Besson, pasteur actif au sein de l’aumônerie vaudoise dans le monde du travail, déclare rencontrer régulièrement des personnes vulnérables que l’on intimide ou à qui l’on refuse des droits les plus élémentaires.

«Nous recevons au moins une personne par semaine qui n’a pas été payée ou qui attend son certificat de travail depuis des mois», donne-t-il comme exemple. «Je ne veux pas généraliser, je suis certain que la plupart des employeurs se comportent correctement», insiste l’aumônier. «Mais quand au bout d’un contrat de trois mois un employé s’entend dire ‹T’es qui toi pour me parler comme ça? Je ne vais te payer qu’un mois!› Ou quand on remet un contrat de travail de 240 pages à un saisonnier qui doit imposer quatorze signatures pour un salaire de misère… Pour moi, on est clairement dans l’intimidation. Dans la mise en place d’un rapport de force.»

Quant à son usage en politique, si la stratégie du rapport de force scandalise, elle n’en demeure pas moins efficace. Ainsi, «sept Américains sur dix estiment que les élus devraient éviter les propos enflammés ou agressifs, car ils pourraient encourager certaines personnes à passer à l’action de manière violente», résumait l’institut Pew Research Center dans un sondage publié début 2024.

Efficace à court terme

Le documentaire Droite radicale, la conquête de Washington (à voir sur Arte.tv) défend une autre hypothèse: Donald Trump ne serait pas la cause de la radicalisation du parti républicain, mais le résultat d’une évolution débutée dans les années 1980 ou 1990, notamment avec l’ancien président de la Chambre des représentants Newt Gingrich, qui va foncièrement changer la communication politique et l’inspirer. «Gingrich est un des premiers, voire le premier homme politique au niveau national, à avoir compris que la radicalité, l’agressivité et la brutalité pouvaient marcher. Qu’y aller franco, sans chercher à être réglo, ça faisait gagner. C’était payant politiquement», analyse Steven Levitsky, professeur de sciences politiques à l’Université Harvard.

Références:

Trump: la stratégie de la sidération, de Michel Eltchaninoff, Philosophie Magazine, 4 février 2025.

De la brutalité en politique, éditorial d'Olivier Bot dans le 24 heures, 27 janvier 2025. 

Most Americans say elected officials should avoid heated or aggressive speech, sondage de l'institut Pew Research Center publié le 31 janvier 2024.

‹Bloodbath›, ‹bullseye›, ‹America’s Hitler›: why has our political rhetoric gotten so violent and incendiary?, article de Hugh Breakey sur www.theconversation.com, 25 juillet 2024.