
Dimanche de la Réformation.
Jésus a chassé les marchands du Temple de Jérusalem. Et s’il venait dans notre Église aujourd’hui ? Que veut dire être temple de Dieu, en tant que communauté et en tant que personne ?
Prédication
Aujourd’hui, nous nous rappelons la Réformation. C’est pourquoi, avant de nous plonger dans le texte de l’Évangile, je vous propose de faire une petite parenthèse et imaginer la chose suivante : Jean Calvin, le grand réformateur qui a vécu à Genève au 16ème siècle, arrive à voyager dans le temps, tel un « Visiteur », et vient assister au culte de ce matin. Quel effet est-ce que ça lui ferait ? Toutes les technologies modernes mises à part, on est d’accord… Je pense qu’en entrant, Calvin serait un peu surpris par l’architecture du Temple de Fontenay : un temple entièrement en béton, construit en 1964, très large, avec un plafond assez bas. Pas de vitraux, mais des lucarnes laissant passer la lumière qui fait le bonheur des plantes vertes aux dimensions assez impressionnantes. Des bricolages d’enfants ajoutent une touche de couleur. Le réformateur genevois serait sûrement étonné de voir une femme présider le culte. On lui expliquerait alors qu’aujourd’hui, chez les protestants, les femmes peuvent devenir pasteur ou diacre. Et que même les laïcs, hommes ou femmes, peuvent célébrer un culte. Je pense que Calvin serait content qu’on continue à chanter les chants de la Réforme, que l’on commémore la Réformation chaque année, et que la confession de foi, que nous allons dire tout à l’heure, n’a pas changé. Peut-être que notre invité poserait la question si les protestants sont restés attachés aux 5 piliers du protestantisme, les 5 principes sur lesquels repose le salut de l’être humain, selon la Réforme : Sola scriptura (par l’Écriture seule), Sola fide (par la foi seule), Sola gratia (par la grâce seule), Solus Christus (Christ seul), Soli Deo gloria (à Dieu seul la gloire). Question difficile…Voyons si les lectures de ce matin peuvent nous aider à esquisser une réponse : commençons par Jésus qui chasse les marchands du Temple :
Jésus qui se met en colère, qui crie, qui chasse des gens et des animaux à coups de fouet, qui renverse des tables. Voilà qui peut nous mettre mal à l’aise. D’ailleurs, je ne me souviens pas d’avoir raconté cette histoire aux enfants du culte de l’enfance. Et pourtant, il s’agit d’un évènement important. La preuve : c’est l’un des rares récits qui nous est raconté par les 4 Évangiles, mis à part le récit de la Passion. Cet épisode remet en question l’image un peu naïve d’un Jésus toujours gentil et sympa, qui bénit les enfants, guérit les malades, raconte des paraboles et mange avec tout le monde. Jésus qui chasse les marchands du Temple ressemble plutôt à l’un des prophètes de l’Ancien Testament. Quand il arrive au Temple pour prier, il se retrouve dans une sorte de foire au bétail, avec des marchands d’animaux et des changeurs d’argent dans toute la cour. On imagine le bruit et l’agitation qui y règnent. Devant ce spectacle désolant, Jésus se met en colère et décide de donner un gros coup de balai. Il chasse les marchands et leurs bêtes hors du Temple et renverse les tables des changeurs d’argent. « Enlevez tout cela d’ici ! Ne faites pas de la maison de mon Père une maison de commerce ! » Dans les 3 autres Évangiles, les paroles de Jésus sont encore plus dures : « Les Écritures déclarent : Ma maison sera une maison de prière. Mais vous, vous en faites une caverne de brigands ! »
Voyons maintenant pourquoi le Temple de Jérusalem est si important. À l’époque de Jésus, il ne s’agit plus du Temple d’origine, construit par le roi Salomon. Ce premier édifice a été complètement détruit par l’armée du roi babylonien Nabucodonosor, en 587 avant JC. L’arche de l’alliance contenant les Tables de la loi, qui y était déposée, a disparu en même temps. Le Temple sera peu à peu reconstruit après le retour des Israélites d’exil, mais il sera loin de la splendeur du premier. Finalement, ce 2ème Temple sera massivement rénové et agrandi par le roi Hérode le Grand. Ce sont là les 46 ans de travaux dont parlent les interlocuteurs de Jésus. Le Temple retrouve un peu de sa splendeur originelle et devient même le plus grand site religieux de son époque. Malgré l’existence des synagogues, le Temple continue à jouer un rôle central. C’est le seul endroit où le peuple peut offrir des sacrifices à Dieu. Pendant les fêtes religieuses importantes, le nombre de pèlerins dépasse largement le nombre d’habitants de la ville. Mais Jésus pressent la fin proche de ce lieu. Quand ses disciples admirent l’architecture de l’édifice, il leur répond : « Vous voyez ces grandes constructions ? Il ne restera pas ici une pierre sur l’autre, tout sera détruit. » C’est ce qui arrivera en l’an 70, où le Temple sera définitivement détruit par les Romains, suite à une révolte juive. Aujourd’hui, il n’en reste que le fameux mur des Lamentations.
Mais revenons à notre texte : Pourquoi Jésus se met-il en colère contre les marchands du Temple ? Ils sont pourtant bien utiles aux pèlerins qui ont besoin d’acheter des bêtes pour les sacrifices et échanger leur argent profane contre de l’argent pur, le seul accepté au Temple. Le problème, c’est que petit à petit, la maison de prière devient une sorte de gigantesque centre commercial. Le plus important, c’est d’assurer le fonctionnement du Temple, avec ses sacrifices, ses offrandes, ses taxes, son entretien. Conséquence : la présence de Dieu, la rencontre avec le Dieu vivant, passent au second plan. Sans Dieu, le Temple continuerait peut-être à tourner comme d’habitude…Et voilà qui nous fait sortir de la position confortable de spectateur et nous oblige à nous remettre en question. Notre 1ère lecture, la Lettre aux Éphésiens, compare l’Église au Temple de Dieu, dont chaque croyant est une pierre, et la pierre d’angle Jésus-Christ lui-même. Si l’Église est le temple de Dieu, posons-nous la question : Est-ce que notre Église ressemble plutôt à une maison de prière ou plutôt à une maison de commerce ? Si Jésus arrivait aujourd’hui dans notre Église, dans nos paroisses, ça se passerait comment ? Qu’est-ce qu’il déciderait de chasser, de renverser ?
Je sais, c’est facile de moraliser…Mais comme toutes les Églises, la nôtre n’échappe pas au risque de consacrer la plus grande partie de son énergie à assurer son propre fonctionnement. L’administration, la communication, la visibilité, les réformes à n’en plus finir (on ne s’appelle pas Réformés pour rien) : ça peut devenir une sorte de fuite en avant. Avec le risque de faire passer au second plan l’essentiel : et c’est notre raison d’être. Car s’il y a une Église, c’est parce qu’il y a un Dieu. Et la présence de Dieu, la rencontre avec le Dieu vivant, c’est ça l’important. À l’époque de Jésus, le Temple de Jérusalem semblait irremplaçable. Et pourtant, après sa destruction, le judaïsme a survécu, grâce aux fidèles qui continuaient à se réunir dans les synagogues. Finalement, l’important n’était pas le Temple, mais le Dieu vivant, que l’on peut rencontrer partout. Nous aussi, nous avons peut-être l’impression que certaines choses dont nous avons l’habitude sont irremplaçables, que sans elles, tout va s’effondrer. Mais ayons confiance. Si notre Église reste avant tout une maison de prière, si nous mettons Dieu à la première place, si nous cherchons avant tout sa volonté, sa grâce, nous pouvons avoir confiance qu’il nous accompagnera à travers tous les changements et tous les bouleversements que nous pourrions traverser ces prochaines années.
Et j’aimerais aller encore plus loin dans notre introspection, avec l’aide de l’apôtre Paul qui écrit aux chrétiens de Corinthe (1 Co 6,19) : « Ne savez-vous pas que votre corps est le temple de l’Esprit saint, cet Esprit qui est en vous et que Dieu vous a donné ? » Si mon corps est le temple du Saint-Esprit, je suis invitée à me poser les mêmes questions que tout à l’heure : est-ce qu’à l’intérieur de moi-même, ça ressemble à une maison de prière, ou bien c’est plutôt plein de bruit et d’agitation ? Est-ce que je mets Dieu à la première place, ou est-ce que je lui laisse que des miettes de mon temps, de mon attention, de mon amour ? Si je suis le temple du Saint-Esprit, est-ce que ma vie témoigne de sa présence en moi ? Cet Esprit dont le fruit est, selon la lettre aux Galates (5,22-23) : « l’amour, la joie, la paix, la patience, la bienveillance, la bonté, la fidélité, la douceur et la maîtrise de soi. »
Pour conclure : en chassant les marchands du Temple, Jésus a voulu chasser le superflu et rappeler l’essentiel. C’est aussi ce qu’ont souhaité faire les réformateurs : revenir aux sources, revenir à l’essentiel. Et c’est quelque chose qu’il peut être utile de faire, régulièrement, que ce soit en tant qu’institution, ou en tant que personne, en tant que croyant. Revoir ses priorités, réfléchir à ce qui est vraiment important, dans sa relation à Dieu et aux autres. Et pour ce faire, je trouve que l’on peut s’inspirer de la « Prière du matin » de notre ami Jean Calvin, qui commence ainsi :
« Mon Dieu, mon Père et mon Sauveur, puisqu’il t’a plu de me conserver par ta grâce pendant la nuit qui vient de finir et jusques au jour qui commence, fais que je l’emploie tout entier à ton service. Et que je ne pense, ne dise ou ne fasse rien qui ne soit pour te plaire et obéir à ta sainte volonté, afin que toutes mes actions se rapportent à la gloire de ton nom et au salut de mes frères. Et de même que pour cette vie terrestre, tu fais luire ton soleil sur le monde, veuille aussi éclairer mon intelligence par la clarté de ton Esprit, afin de me diriger dans la voie de ta justice. Amen »

